11/02/2021

Le matou amoureux

Martine Besset

Après le conte (La nouvelle Cendrillon), une fable...




Un grand chat efflanqué, se sachant séducteur,
C’est-à-dire sûr de lui, ce qu’on appelle coureur,
Miaulait plus qu’à son tour, à ses admirateurs,
Sa belle philosophie, sa recette de bonheur :
L’amour est jeu de dupes, et source de malheur,
Je ne suis pas de ceux qui jouissent de ses pleurs,
Il faut prendre et laisser, tout le reste est légende,
Et si l’une s’en va, dix autres vous attendent.

Passa une mignonne avec des yeux de menthe… 
Sitôt dit, sitôt fait, elle devint son amante !
Il parada près d’elle, heureux comme à la fête,
Pour montrer les appas de sa nouvelle conquête.

Mais la chatonne avait des charmes bien puissants…
Son échine élastique, son bout de langue rose,
Eurent tôt fait de rendre notre matou morose,
Ignorant qu’il était d’un si fort sentiment.

La belle se lassa vite de tant de suffisance
Et s’en alla bientôt vers d’autres connaissances.
Un greffier roux un beau soir croisa son chemin,
Dont elle adora le regard adamantin.

Notre matou crut bien que la terre s’entrouvrait,
Que sa vie s’achevait, que la mort l’emportait ;
Et en pleurant, miaulant, feulant de trop de peine,
Il tenta sans succès d’oublier la vilaine.

Vous ignorez, jeunes vauriens,
De quoi demain sera fait,
Sachez qu’on ne maîtrise rien
Qu’on ne peut pas dire jamais
Et qu’en amour encore moins,
Il ne faut jurer de rien.

1 commentaire:

  1. Qu’est-ce qui donne son charme infaillible aux fables, comme celle du matou amoureux (l’épithète préfigure le sort pénible de ce Don Juan félin) ? D’abord la forme en vers rimés : le vers fait danser les phrases, alors que la prose les fait marcher ; la rime crée une attente intrigante : que va trouver le fabuliste pour répondre au mot qu’il a posé en fin du vers précédent ? Cette fable pousse le dispositif à l’extrême, comme une ballerine (fabuleuse, il va sans dire) qui multiplie les fouettées jusqu’à finir la série au milieu des applaudissements de la salle. Les six premiers vers se terminent par « eur(s) ».

    Il y a le plaisir du vocabulaire, le déploiement dans cet exemple de mots abstrus, d’une débauche de synonymes. Le lecteur étranger que je suis a dû aller chercher le sens de « greffier ». Mot argot pour un chat, dérivé de « griffard » ou « griffon » à cause des griffes qu’ils partagent avec un chat ; ou de la ressemblance entre un chat noir et blanc et le vêtement d’un greffier de tribunal. (Pourtant le greffier de la fable qui fait chavirer la chatte est roux.)

    Une fable n’est pas sérieuse, elle allège tout ce qu’elle raconte. Des sujets graves sont patinés d’humour. La tragédie humaine vire à la comédie humaine.

    Une fable peut aborder le drame, la douleur, la mort. Mais elle déploie l’ironie pour cacher son jeu aux innocents qui la liraient au premier degré. Un enfant peut entendre une fable et ne s’apercevoir que de l’histoire. L’adulte entend le ricanement discret du fabuliste, et ses implications.

    Les animaux, trois chats dans cette fable, sont des humains déguisés : l’anthropomorphisme est une constante dans le genre. Le jeune lecteur assiste aux déboires d’un chat arrogant. Les grands sourient en voyant celui qui cherche le plaisir dans une série de conquêtes sans engagement tomber amoureux de celle qui, précisément, préfère le même plaisir et, ennuyé par les épanchements, le quitte pour un autre. L’arroseur est arrosé. Les vrais chats y vont sans ces complications (je pense !).

    Le moral de l’histoire ? Demain ne se révélera que demain, et il est inutile de prévoir son déroulement sur la base d’aujourd’hui. Surtout en amour, cet ouragan qui fait croire à une brise de printemps, puis balaie les imprudents fiers sous leur parasol ou leur parapluie, et les laisse mouillés et frissonnants. L’amour interrompt la relation, au lieu de l’approfondir. « Le matou amoureux, ou, Quand un coureur rencontre une coureuse ».

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