Le regard de DM sur « La carpe et le lapin »

Plus encore que le titre, les premiers mots, « Lorsque Monsieur Dow Jones rencontra Mademoiselle Droitsdelhomme » promettent une plaisante fable politico-sociologique, et en effet le ton amusé avec lequel MB aime décrire les bizarreries des humains est maintenu jusqu’à la fin.

« La carpe et le lapin » est cependant un conte tragique, posant la question vitale de la rencontre amoureuse et ses prolongations.

Car le flirt mutuel de la Droite et la Gauche – ici sous les avatars de la cupidité érigée en religion économique et l’engagement solidaire scandé de défaites inévitables – fait suite à un élan amoureux mutuel. Le premier regard, le premier toucher, même si les pulsions sont conditionnés par le contexte de chacun, représentent le mouvement érotique qui assure la survie de l’espèce. Lui « tomba sur le champ amoureux », elle « s’éprit instantanément » de lui.

Mais dès que chacun se met à profiter de la différence entre eux, le ver est dans la carpe comme dans le lapin. La fable se vérifie.

L’échange n’est pas symétrique. Le monsieur financier s’enchante de côtoyer ce qui lui manque, des valeurs et des idéaux qui dépassent la performance économique – c’est le manque derrière l’insatisfaction chronique des gens de droite, les poussant à acquérir toujours plus de ce qui ne les comblera jamais. La dame activiste saute avec délice sur les signes ostentatoires de la prospérité – c’est la tentation qui guette les gens de gauche las d’austérité, et qui expliquerait les dérives socio-démocrates. Il aspire à échapper un temps à l’obsession des indicateurs économiques ; elle aspire à… une Lamborghini ?

Le couple déchante rapidement. Elle met en question le simplisme aride du modèle néolibéral, lui méprise les fumeuses implications de l’internationalisme. Chacun veut détruire le monde de l’autre.

Un conte cynique ? Non, tragique : le pli est pris. De futures rencontres dépendront de leurs insatisfactions philosophiques. Le désir cherchera, non pas l’être, mais les fruits interdits sur son étal.