« Une lueur apparaît, une maison éclairée dans la nuit,
et je voudrais entrer, mais la porte se referme déjà. »
et je voudrais entrer, mais la porte se referme déjà. »
Un nom sur le bout de la langue
« Ils l’appelaient « l’avenue ». Le terme ferait penser à une allée auguste bordée de tilleuls ou de lauriers-roses, alors que ce n’était qu’un court chemin de terre en courbe, entre trois fils de fer barbelé côté champ et une haie pleine d’épines côté jardin. Un vieux poirier s’était effondré sur la haie, et en automne ses fruits tombaient comme des larmes sur le sol, où la voiture les écrasait avec le même bruit croquant que si elle les mangeait.
Cette avenue menait à la porte de la cuisine. Seuls venaient à l'entrée de devant le laitier, qui y déposait ses bouteilles le matin et sonnait le vendredi pour être payé et, reçus plus cérémonieusement, le pasteur et, à l’occasion, les croque-morts.
… »
Hou là ! Thomas vit ses doigts s’arrêter sur les touches. Un coup de frein, si abrupt que c’était comme si la pédale descendit toute seule, laissant suivre le pied.
Pourquoi freiner ? Il tenait son sujet, avait un plan, presque une carte. Soudain, la route s’arrêta. Il avait freiné à temps. Il imagina un début de pont se projetant dans le vide, un plongeoir, un piège. Ou le pont continuait peut-être, mais dans un brouillard dense à quelques pas. Il pouvait accélérer, faire confiance. Les mots viendraient, le porteraient même, construiraient leur propre pont. Comme Thelma et Louise, il se projetterait dans le vide, sûr que l’auto prendrait son envol.
Il pouvait même choisir d’accueillir cet abysse, s’y laisser tomber jusqu’au fond, là où il trouverait son origine.
Rien n’y fit. La résistance était moins mentale, physique qu’existentielle. La pire des peurs, celle qui ne reconnaît pas son objet. Lutter contre celle-là, c’était se battre avec quelqu’un qui venait de derrière.
Banale peur de la page blanche ? Une amie méprisait cette panique-là : « Que ceux qui ont peur de la feuille blanche n’écrivent pas : ils n’ont rien à dire, c’est tout. » Sa page à lui était trop noire d’écriture pour être décryptée.
Son idée avait été claire, mais elle le menait vers une menace invisible.
.
Au moins il tenait la fin, comme le début. Il avait eu un plaisir d’enfant à y utiliser l’exergue presque mot pour mot. Que rajouter, si ce n'était que de rapporter l'abysse entre début et fin ?
« Quand, étouffé par une pleurésie qui s’était rajoutée à une pneumonie, Thomas mourut vieillard, il avait juste le temps de passer le long de l’avenue, pour la première fois depuis quarante ans. Dans le noir qui l’enfonçait, une lueur apparut dans la porte ouverte de la maison.
Les barbelés et les épines s’approchèrent, s’accrochèrent, s’enfoncèrent, mais sans avoir prise sur le progrès flottant de Thomas. Il était presque arrivé. Mais la porte se refermait déjà. »
Martine Besset écrit :
RépondreSupprimerQui est Thomas ?
L’écrivain inventé par DM ? Le personnage de la fiction écrite dans la douleur par cet écrivain ?
Qui utilise l’exergue ? Thomas ? Mais alors lequel des deux ? Ou plutôt DM, qui se met en scène dans son propre écrit ?
Et ce vide terrifiant où mènent les mots, qui donc l’expérimente ? Thomas ? Mais lequel des deux ? Ou DM, qui a tardé cette fois à livrer sa copie ?
En quelques paragraphes, s’installe un jeu de boîtes gigognes, chaque personnage sortant de la fiction de son auteur, et l’auteur n’étant jamais le dernier de la série: un jeu réjouissant qui renvoie le lecteur au souvenir de ses chères études passées, aux abstraites théories du roman des années 70 (ah, le bon temps où nous nous étripions à propos de la mort de l’auteur, du personnage comme fonction, et autres débats de ce genre !), mais aussi un jeu tragique, puisqu’on comprend qu’écrire, c’est mettre parfois sa vie en jeu. Que c’est soi qu’on risque de trouver en continuant à aligner les mots, et que la rencontre peut être fatale…
Mais qui meurt, à la fin de ce texte ?