Le regard de MB sur « Gertrud Penn (1924-2006) : la maison repeinte en rouge »
A la première lecture, on est consterné, car l’on se croyait cultivé : comment se fait-il que l’on ait jusqu’à ce jour tout ignoré de cette Gertrud Penn ? On se précipite sur Wikipédia, on n’y trouve rien, on se souvient que l’auteur du texte la dit quasiment inconnue en France, ceci explique peut-être cela, mais tout de même, une gêne persiste… Alors on relit le texte, on se dit que quelque chose cloche, tous ces détails sur la vie, l’œuvre, sortent forcément de quelque part, d’ailleurs l’auteur n’a-t-il pas rencontré la fameuse Gertrud ? Il connaît tellement de monde, pourquoi pas une écrivaine américaine injustement oubliée?
Et puis on découvre les deux lignes en bas du texte, on clique sur le lien, et la vérité éclate, qui laisse amusé, soulagé, et un peu vexé, avouons-le: tout cela n’était que fiction…Alors la question s’impose, qui est une vraie et passionnante question littéraire: pourquoi donc y a-t-on cru ?
L’accumulation de détails biographiques, sans doute, les notations qui « font vrai » : la référence à Carl Dreyer, dont on découvre trop tard qu’il n’avait pas de sœur, les dates de naissance et de mort, totalement imaginaires, les fausses citations…Le ton et le style, aussi, qui évoquent ces biographies truffées de références à des faits minuscules, des comportements ignorés, destinées à enchanter le lecteur, assez content de voir que le grand personnage avait des failles très humaines.
Il y a dans la filmographie d’Hitchcock un film considéré comme mineur, « Le grand alibi », qui est pourtant un chef-d’œuvre très troublant de manipulation du spectateur. Il commence par un flash-back, montrant un personnage se livrant à ses occupations au moment où le crime a eu lieu : l’existence même de la séquence prouve la véracité de l’alibi, le personnage est donc innocent. Or on découvre plus tard que le flash-back était menteur : le spectateur ne l’a pas mis une seconde en doute parce qu’au cinéma, ce procédé permet d’évoquer des événements passés, donc réels. C’est un exemple parmi d’autres : dans tout récit de fiction, l’impression de vérité est toujours produite, paradoxalement, par un artifice. Il y a eu mille études, dont certaines très savantes, sur le sujet : DM nous en donne à lire ici une épatante illustration.
Le regard de DM sur « Un nom sur le bout de la langue »
Si ce « regard » avait un titre, ce serait « Une action de grâce ».
L’auteur aborde le dilemme de la mémoire qui faillit, des miettes du passé qui échappent au cerveau, en augurant – au pire - de gros pans de mur qui s’effondreront dans un nuage aveuglant de poussière.
Pour l’instant l’oubli est anodin, et pourtant il tracasse comme un point dans le dos qui vous gratouille le jour et vous chatouille la nuit, à moins que ce ne soit le contraire. Des doigts amis voudront bien vous gratter, mais jamais au bon endroit. C’est frustrant, comme est frustrante la recherche Internet de l’auteur, s’accrochant à la possibilité que l’amie devenue anonyme soit maintenant assez célèbre ou assez notoire pour y figurer. La quête devient énervante, obsédante. Puis soudain, comme par la grâce du Ciel, le nom surgit de son obscurité mystérieuse.
D’après les critères d’un roman, cet écrit serait insignifiant. Un petit oubli qui se répare en une page ne va pas tenir des foules de lecteurs en haleine. Pourtant, il remplit une fonction essentielle : mettre en mots la perception humaine de la vie, du monde. Que ces mots soient choisis, remplacés et déplacés avec de longues précautions, ou qu’ils jaillissent comme la lave d’un volcan, ils confèrent une grâce (encore ce mot !?) à l’expérience brute. En reconnaissant dans ce qu’il lit une émotion, une réaction, l’individu reconnaît son humanité partagée.
Une dernière question. Pourquoi le lecteur est-il privé du nom retrouvé ? Une pirouette d’auteur, ou une précaution ? Le nom déclencherait une envie d’histoire où le personnage figurerait. Ce n’est pas le propos. Si une histoire existe, elle doit rester sur le bout de la langue.
Je prends le chemin du commentaire pour citer l'écrivain écossais Louise Welsh, disant de Maya Angelou qu'elle "perçoit en particulier la poésie comme possédant le pouvoir de nous permettre de nous reconnaître et connaître les uns les autres".
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