01/02/2015

Le regard de Denis Mahaffey sur « L’obscur ennemi qui nous ronge le coeur »

« Les chiens, excités par le familier, couraient et aboyaient devant moi. Mais une fois en haut du coteau ils se sont arrêtés et tus. Arrivé à leur côté, j’ai vu un mécanisme en forme de citron, gros comme un hôtel, atterrir silencieusement sur un coussin de lumière. »

Ou bien :

« Le cliquetis de ses talons sur le sol du parking était chaque fois le dernier son de sa journée professionnelle. Elle déverrouilla à distance sa voiture, qui clignotait à son approche, lorsqu’un homme cagoulé surgit et l’empoigna brutalement. »

« L’obscur ennemi » utilise la même amorce classique et éprouvée : l’inattendu qui rompt le quotidien. Parmi les appels publicitaires qui remplissent l’écran de la femme, un nom se dégage. Un amoureux sort du passé, et « deux époques de sa vie venaient de rentrer en collision ». L’homme, banal (« On se fait la bise »), irritant et surtout étranger, sert à déclencher une réflexion fondamentale sur l’identité : suis-je moi-même, si ce moi n’est plus le même ? « Une autre, qui était pourtant elle aussi, l’avait remplacée. »

D’autre part, comme dans tout écrit qui se respecte, des questions sollicitent l’imagination du lecteur : pas de raison qu’elle ne bosse pas aussi… Le récit (aurait-il un élément autobiographique, se demande le lecteur trivial) entre dans la conscience de la femme, laissant l’homme dehors. Que pense-t-il ?

Sa curiosité éveillée par ce nom inscrit sur le site, est-il dépité de trouver une femme vieillie, contrôlée, avec des problèmes de santé ? Ou bien, en ironisant plaisamment sur leurs coloscopies respectives, sent-il fondre ses intestins à retrouver la rayonnante et discrète jeune fille devenue femme épanouie et toujours discrète (c'est-à-dire avec la part de mystère qui invite les initiatives amoureuses) ? Il se souvient d’un ensemble jaune qu’elle portait. « Ah » disait-il alors « t’as a mis ta robe blonde. Embrasse-moi. Je t’aime. » Il l’aime encore, trop tard.

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