29/12/2023

Ma première fois

L'Echange accueille d'autres auteurs. Voici le texte écrit par "Adolphe Tournetresque"



« dans le couloir de l’avion »
(Vol BA467 Paris-Londres)



Nous étions partis le matin, papa, maman et moi, dans la Citroën GS familiale, en direction de cette commune du Val de Marne où habitaient ma marraine et son mari.

 Il s’agissait bien entendu de bénéficier de la connaissance des lieux et du savoir-faire, sinon la débrouillardise, de ces derniers, dès lors que nous serions rendus sur place (entendez, notre destination finale) : l’aéroport d’Orly. Histoire de ne pas paraître trop plouc, d’éviter de chercher des heures où garer la voiture et comment enregistrer mon bagage puis me diriger, bien entouré, vers l’embarquement. Tout ce qui, sans ces cicerones, n’aurait pas manqué de susciter l’irritation de mon père quant au déplorable fléchage des lieux, et de développer une angoisse trop visible chez ma mère toute pétrie de réprobation rentrée à l’idée de voir son fils quitter le giron familial.

Mais, accueillis par Michèle et Marc, et après un bon repas partagé assorti des dernières nouvelles sur les divers membres de la famille, l’aventure à l’issue incertaine allait se muer en une affaire entendue, lisse de tout danger, presque euphorique.

Les sourires d’accueil et la fausse nonchalance blasée, bienveillante toutefois, destinés à nous mettre à l’aise seraient présents à notre arrivée, ponctuée de l’apostrophe convenue d’avance « Vous avez fait bonne route ? la RN2, quelle galère franchement, non ? pas de souci sur le périph’ jusque la Porte de Charenton ? », et nous serions pris en main comme il convenait par ces banlieusards totalement rompus aux us et coutumes de la vie trépidante propre à la région parisienne, incompréhensible aux provinciaux dont nous étions.

Ma destination : le Verige, un pays lointain habité par des gens aux mœurs et coutumes autant étranges qu’étrangères, parfois décriées, ou enviées, un peuple souvent imaginé dans notre inconscient collectif de cette époque comme des nantis tranquilles et discrets, quoique fort peu catholiques et certainement demeurés partiellement barbares – du moins était-ce le sentiment qu’on devait probablement ressentir si l’on devait s’aventurer à les fréquenter.

Le fait est, quelques années plus tôt ma prof’ d’anglais Mademoiselle Dubois nous avait proposé, à nous élèves du CEG (Collège d’Enseignement Général) de Bufficourt, de développer notre connaissance de la langue de Shakespeare en correspondant avec d’autres jeunes du monde, avides, eux, de partager les splendeurs bien connues, voire jalousées, de notre grande culture française – l’ombre du Grand Charles planait encore incontestée dans nos esprits formatés.

C’est ainsi que, plus de deux ans durant, après de premiers essais claudicants et peu convaincants avec un britannique peu curieux et un allemand plus âgé, j’avais échangé de sages lettres avec ma correspondante de Verige, à grands renforts de mon gros dictionnaire Harrap’s, de cartes postales estivales et de poncifs sur le système éducationnel français – le meilleur du monde soit dit en passant, cela allait de soi.

Vint le jour où je reçus une lettre m’invitant à passer deux semaines dans sa famille. Je pourrais de plus, m’écrivait-elle, partager le quotidien des élèves du lycée local, assister aux cours qu’il me plairait de de suivre – j’étais de toute façon le bienvenu, et même attendu par les professeurs de français, d’anglais, de musique, de mathématiques ...

Cette proposition jeta un froid à table, plus saisissant que la température extérieure, lorsque, après avoir temporisé une bonne semaine, j’en informai mes parents pendant le dîner d’un soir de décembre.

Curieusement cependant, ce froid n’était pas exactement hostile, une forme de résignation positive l’accompagnait : il fallait bien accepter de me laisser cette opportunité de bénéficier d’une découverte encadrée, qui ne pourrait qu’enrichir mon cursus scolaire et faire de moi l’élève modèle que je me devais d’être. A quelque chose malheur est bon.

Mais l’idée de me livrer sans possibilité de contrôle à des étrangers n’était pas sans susciter quelques évidentes réticences, voire des peurs perceptibles : que faisaient ses parents, où habitaient-ils exactement, combien de membres à cette famille, qu’allais-je faire de mes journées, aurais-je ma chambre à moi … ? Et surtout, saurais-je me débrouiller pour parler et me faire comprendre ? Il faudrait de toute façon prendre une abonnement à Europ Assistance, cela ne se discutait même pas.

Des semaines durant, je dus apprendre à cacher mon avidité de découverte derrière une apparence d’indifférence. Cela serait mon premier vrai voyage à l’étranger, si l’on excepte les trois fois un mois passés en colonies de vacances en Suisse près de Vevey – très strictement encadrées par les cerbères de l’association patronale qui les organisait. Et deux séjours d’été en famille, dans la patrie de mes grands-parents, au-delà de lointaines montagnes.

Ainsi je me retrouvai, un dimanche de février, dans ce hall d’aéroport empli de gens affairés en costume de voyage, poussant leur chariot chargé d’une sobre valise et d’un éventuel sac de complément - on était encore loin des jeans, tee shirts, baskets colorées, sacs de toile informes et autres signes voyants de distinction individuelle, dans ce lieu où s’affichait un respectable quant-à-soi.

Encadré par un quarteron bienveillant d’adultes au sens rassis, rien ne pouvait m’arriver. Mais après ?

Après, ce furent d’abord les baisers échangés, les dernières recommandations, la promesse qui me fut arrachée d’appeler dès le lendemain en PCV - un acronyme désormais bien suranné. Puis ce fut l’attente dans la salle où je rejoignais ces étrangers affairés qui allaient être mes compagnons de voyage, l’entrée dans le couloir de la passerelle qui conduisait à la porte de l’avion, le sourire et le salut appuyés mais indifférents du personnel d’accueil, mes pas mal assurés dans une atmosphère faite de sons feutrés et de lumière intimiste, mon installation sur le siège qui était réservé, ultime attention, à mon intention exclusive. Les aventures allaient vraiment commencer, et je n’en pouvais déjà plus de toutes les prévenances déployées au-dessus de ma tête, telles une auréole laïque.

S’ensuivit la démonstration de l’hôtesse dispensatrice d’impeccables instructions salvatrices, l’attente qui me parut interminable et perfusait en moi une anxiété non feinte. Enfin, comme une trompeuse libération, le hurlement inhumain des deux réacteurs collés à la carlingue qui, dans un ultime sursaut, rappelait que tout cela n’était pas sans danger caché, et constituait pour sûr comme un dernier et solennel avertissement lancé par des forces surnaturelles au défi que je m’apprêtais à relever, celui qu’une humanité de plusieurs millénaires avait rêvé.

Et là, sans possibilité de retour en arrière, s’accéléra la course qui devait mener à cette expérience initiatique unique – sentir la cabine vibrer de sa vitesse folle sur le tarmac, le sol se dérober sous les roues de l’avion, puis les ailes vibrer sous la pression de l’air porteur, … voler ! pour m’enfoncer dans l’inoubliable qui m’attendait et déjà m’absorbait.

1 commentaire:

  1. Bonjour
    Très sympathique expérience qui me rappelle "ma première fois ".
    J'avais 10 ans et j'ai dû prendre l'avion de Paris à Milan où habitaient ma grand-mère, mes tantes et ma cousine.
    A cette époque il n'y avait que Orly sud, qui était tout neuf et qui respirait le luxe. D'ailleurs de temps en temps mon père m'amenait là pour s'imprégner de cette atmosphère qui nous changeait de notre modeste appartement parisien.
    Pour prendre l'avion il fallait être bien habillé, le costume et la cravate étaient de rigueur.
    J'étais à cette époque un beau blondinet avec plein de cheveux. On me confia à une hôtesse charmante car à cette époque les hôtesses n'étaient pas des femmes de ménages améliorées mais elles se devaient d'être jolies, minces, élégantes et les passagers les regardaient avec admiration.
    L'hôtesse fut pleine d'attentions pour moi tout au long du trajet. Cependant c'étaient des avions à hélice et je commençais à avoir le mal de mer. Je résistais vaillamment à l'envie de vomir. L'atterrissage fut particulièrement pénible et une fois l'avion arrêté je me levai un peu pâlichon pour sortir. La jolie hôtesse voulut m'embrasser sur la joue avant que je quitte l'avion. C'était trop pour moi et je lui vomis abondamment sur son beau tailleur....

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