21/12/2014

Le regard de Martine Besset sur « Sean bhean bhocht »

Qu’on veuille bien me pardonner : le texte « Sean bhean bhocht » m’inspire des réflexions que d’aucuns trouveront peut-être trop personnelles…
    Je n’ai jamais été confrontée à l’exil, je n’ai même jamais été amenée à vivre, volontairement ou pas, dans un autre pays que le mien. La question des racines, croyais-je, ne me concernait pas, et il ne me serait pas venu à l’esprit de me présenter comme française. Le chauvinisme me paraissait bouffon, l’imbécillité heureuse « de ceux qui sont nés quelque part ». Et puis un jour, il y a bien vingt-cinq ans de cela, je me suis trouvée, au volant de ma voiture, non pas au bout du monde, mais juste de l’autre côté de la frontière, en Belgique : rien de moins exotique…A un carrefour, mon moteur, un peu poussif, a calé au moment de redémarrer, et j’ai bloqué un instant le flot de la circulation. Quand j’ai entendu le commentaire ironique et cinglant, dit derrière moi, sur l’incompétence des Français au volant (à l’époque, un F ornait encore la plaque des véhicules), je me suis sentie vexée comme rarement je l’ai été dans ma vie…La plaisanterie avait touché un sentiment que je ne savais pas éprouver…
    Lorsqu’il m’arrive de me trouver face à des individus nés dans des ailleurs plus ou moins lointains, installés en France depuis un temps plus ou moins long, mais sans doute pour le restant de leurs jours, une question me vient toujours à l’esprit : comment ont-ils fait pour vivre dans une autre langue que la leur ? Je ne parle pas de la difficulté, singulière pour chacun, de l’apprentissage d’un vocable étranger, mais de l’adaptation à une nouvelle façon de voir le monde et de découper la réalité. Au prix de quelle amputation ?
    « Sean bhean bhocht » dit aussi, avec une belle économie de moyens et sans pathos aucun, les moments déchirants que vit la mère, et cette façon qu’elles ont, les mères, de presque tout accepter, tout comprendre, quand c’est du bonheur de leurs enfants qu’il s’agit. Dans quelles réserves d’amour, et qui sait, de masochisme, vont-elles chercher alors la capacité de se séparer, pour longtemps parfois, de la chair de leur chair ?

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