Je n’ai jamais été confrontée à l’exil, je n’ai même jamais
été amenée à vivre, volontairement ou pas, dans un autre pays que le mien. La
question des racines, croyais-je, ne me concernait pas, et il ne me serait pas
venu à l’esprit de me présenter comme française. Le chauvinisme me paraissait
bouffon, l’imbécillité heureuse « de ceux qui sont nés quelque part ».
Et puis un jour, il y a bien vingt-cinq ans de cela, je me suis trouvée, au
volant de ma voiture, non pas au bout du monde, mais juste de l’autre côté de
la frontière, en Belgique : rien de moins exotique…A un carrefour, mon
moteur, un peu poussif, a calé au moment de redémarrer, et j’ai bloqué un
instant le flot de la circulation. Quand j’ai entendu le commentaire ironique
et cinglant, dit derrière moi, sur l’incompétence des Français au volant (à
l’époque, un F ornait encore la plaque des véhicules), je me suis sentie vexée
comme rarement je l’ai été dans ma vie…La plaisanterie avait touché un
sentiment que je ne savais pas éprouver…
Lorsqu’il m’arrive de me trouver face à des individus nés
dans des ailleurs plus ou moins lointains, installés en France depuis un temps
plus ou moins long, mais sans doute pour le restant de leurs jours, une
question me vient toujours à l’esprit : comment ont-ils fait pour vivre
dans une autre langue que la leur ? Je ne parle pas de la difficulté,
singulière pour chacun, de l’apprentissage d’un vocable étranger, mais de
l’adaptation à une nouvelle façon de voir le monde et de découper la réalité.
Au prix de quelle amputation ?
« Sean bhean bhocht » dit aussi, avec une belle économie
de moyens et sans pathos aucun, les moments déchirants que vit la mère, et
cette façon qu’elles ont, les mères, de presque tout accepter, tout comprendre,
quand c’est du bonheur de leurs enfants qu’il s’agit. Dans quelles réserves
d’amour, et qui sait, de masochisme, vont-elles chercher alors la capacité de
se séparer, pour longtemps parfois, de la chair de leur chair ?
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